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Au Bangladesh, l’urgence d’un renouveau démocratique

Un mouvement de masse renversant un dirigeant honni n’est pas un événement courant. C’est pourtant bien une grande révolution de ce type, populaire et sanglante, que vient de connaître le Bangladesh, pays malheureusement abonné, depuis son indépendance, en 1971, à la violence politique, à l’émeute de masse et au coup d’Etat récurrent.
Lundi 5 août, la première ministre, Sheikh Hasina, dont la dérive autocratique n’avait cessé de s’amplifier au cours d’un trop long « règne » de quinze ans, n’a dû son salut qu’à la fuite : alors que des centaines de milliers de manifestants, ivres de vengeance, convergeaient vers sa résidence, la cheffe du gouvernement a été contrainte de sauter dans un hélicoptère qui l’a transportée en Inde. Sans même avoir pu rédiger le discours de démission qu’elle s’était résignée à écrire.
Le sous-continent indien serait-il terre propice à de tels mouvements de masse ? Comme lors du renversement du président autocrate sri lankais Gotabaya Rajapaksa, accusé de crimes de guerre durant le conflit avec les séparatistes tamouls et contraint, le 13 juillet 2022, de fuir son palais sous la pression des protestataires exigeant sa démission, le palais de la première ministre bangladaise a été investi par la foule. Les manifestants ont mis à sac les appartements de la « bégum de fer », dérobant meubles et plantes en pot, s’enfuyant même avec lapins et poules.
Ce moment de catharsis nationale a immédiatement été suivi, comme dans toute révolution de ce type, de violents actes de vengeance contre les affidés de la Ligue Awami (parti de la première ministre déchue), les « collabos » du régime et la police, dont la brutalité a contribué au sanglant bilan de trois semaines de troubles : plus de quatre cents morts.
Livrée au chaos durant plus de vingt-quatre heures, la capitale Dacca, où l’ordre semble avoir été rétabli, devait accueillir, jeudi 8 août, son nouveau héros : Muhammad Yunus, 84 ans, a accepté d’assurer un intérim gouvernemental sous contrôle des militaires. Le titulaire du prix Nobel de la paix 2006 est connu dans le monde entier et adulé dans son pays pour y avoir mis sur pied un système de microcrédit qui a contribué à sortir de la pauvreté un nombre significatif de Bangladais.
Farouche adversaire de sa prédécesseure, Muhammad Yunus doit assurer la transition vers un hypothétique renouveau démocratique. Il va devoir prôner l’apaisement et la réconciliation dans un pays marqué par des années d’autocratisme, sous la houlette de l’héritière de la dynastie politique qui avait pris le pouvoir après la sanglante guerre d’indépendance de 1971. Un conflit qui avait débouché sur l’établissement d’un Etat à parti unique.
Il est trop tôt pour juger des chances de réussite de ce processus de renouveau démocratique, aussi urgent que nécessaire. Haines et règlements de compte risquent de rester au menu de la période postrévolutionnaire qui s’ouvre. Avec la perspective du retour des politiciens d’une opposition écrasée par l’« ancien régime », voire des groupes islamistes, politiquement marginaux mais capables d’agiter les passions dans cette nation à majorité musulmane de 170 millions d’habitants. Sans compter le retour de l’armée sur le devant de la scène, dans un pays qui a longtemps été gouverné par des généraux et où les militaires ont gardé d’importants moyens de pression. Pour le nouveau pouvoir, quel qu’il soit, la tâche de ramener à la raison ce « pays delta » excessif et imprévisible s’annonce immense et périlleuse.
Le Monde

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