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« Spiritualisme et phénoménologie. Le cas Maine de Biran », d’Emmanuel Falque : la chronique « philosophie » de Roger-Pol Droit

« Spiritualisme et phénoménologie. Le cas Maine de Biran », d’Emmanuel Falque, PUF, « Chaire Etienne Gilson », 310 p., 22 €, numérique 18 €.
Il appartient au club des ­célébrités délaissées. Maine de Biran (1766-1824) et sa quête philosophique et spirituelle ont suscité nombre de travaux, tous publiés chez Vrin, depuis Victor Delbos (1931) jusqu’à François Azouvi (1995), en passant par Henri Gouhier (1948), sans compter bien d’autres interprétations, notamment celle de Michel Henry (PUF, 1965). Son œuvre, monumentale (dix-huit volumes, sept mille pages), est depuis longtemps disponible en version papier et en version numérique, toujours chez Vrin (1984-2001).
Il n’empêche qu’on le lit peu. Et le bicentenaire de sa mort, le 20 juillet, n’a guère attiré l’attention. Il est vrai qu’entre crise politique et Jeux olympiques, les regards ne pouvaient se tourner vers ce philosophe, bien qu’il ait été un des rares penseurs de l’effort, et de l’effort musculaire en particulier, ainsi qu’une figure politique, conseiller d’Etat et député de la Dordogne. Une occasion de le redécouvrir s’offre aujourd’hui avec l’étude originale que lui consacre le théologien et philosophe Emmanuel Falque, directeur de recherche à la faculté de philosophie de l’Institut catholique de Paris.
Il insiste sur le fait que Maine de Biran est un « cas », une figure inclassable, qui n’entre pas dans les catégories habituelles – et s’emploie activement à les récuser –, que ce soit dans son existence quotidienne ou dans l’élaboration de sa philosophie. Né à Bergerac, mort à Paris, fils de médecin, l’homme a toujours vécu dans les zones frontières de mondes dissemblables, entre Ancien Régime et Révolution, province et capitale, philosophie et sciences. Sa biographie semble marquée par une sorte de permanente « coïncidence des opposés » : ce penseur déroutant est un ermite et un mondain, un notable et un solitaire, un graphomane qui ne publie presque rien…
La singularité de son cas se ­retrouve dans son œuvre, plus ­complexe et plus contemporaine qu’on ne le croit. Sans doute ses éditeurs successifs, à commencer, au XIXe siècle, par Victor Cousin, ont-ils contribué à forger les stéréotypes qui l’entourent : précurseur de la phénoménologie, philosophe du « sens intime » et de la subjectivité, inventeur de l’introspection comme voie royale vers le réel. Artisan du renouveau spiritualiste contre le sensualisme des Lumières, Maine de Biran oppose radicalement activité de la conscience et passivité du corps, volonté libre du moi et résistance du monde, et critique subtilement l’habitude, dont les enchaînements mécaniques viennent ­obscurcir la claire conscience de notre volonté souveraine.
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